Embouteillage à Kinshasa : un diplomate européen fait le récit d’une journée éprouvante, alors qu’il doit être reçu par le président Tshisekedi

9 mai 2021

Embouteillage à Kinshasa : un diplomate européen fait le récit d’une journée éprouvante, alors qu’il doit être reçu par le président Tshisekedi

Troisième plus grande ville d’Afrique et première ville francophone du monde, Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo (RDC), est une mégapole dont personne ne sait exactement combien de personnes vivent dans cette ville, étant donné que le dernier recensement général de la population date de 1984.

Selon les prévisions des organisations spécialisées des Nations unies, la RDC comptera 124 millions d’habitants en 2030, c’est-à-dire près de deux fois plus que la population de la France hexagonale (68 millions). La ville de Kinshasa, quant à elle, devrait atteindre les 20 millions d’habitants, et devenir ainsi l’une des plus grandes mégapoles du monde.

Mais la ville de Kinshasa, qui doit accueillir la neuvième édition des Jeux de la Francophonie l’année prochaine, souffre d’un manque criant d’infrastructures de transport urbain, notamment routières qui ne sont pas toujours en bon état. Cette situation crée beaucoup de désagréments auprès de la population.

C’est ici l’occasion de vous parler d’un récit bouleversant de Monsieur Jean-Marc Chataigner, Ambassadeur de l’Union européenne en RDC, d’une journée éprouvante qu’il a eue, alors qu’il s’apprête à être reçu en audience par le président de la République, Félix Tshisekedi. « Embouteillages, pneu crevé et agenda d’un ambassadeur« 

« Le sujet peut paraître anecdotique : il est de la plus haute importance dans la journée d’un diplomate. Etre à l’heure ou ne pas être à l’heure: telle n’est pas la question. Respecter son agenda est en effet vital pour un ambassadeur. Le Maréchal Grouchy a fait perdre Waterloo à Napoléon parce qu’il est arrivé en retard sur le champ de bataille à cause, dit-on, d’un plat de fraises. Un diplomate ne peut se permettre une telle fantaisie.
Je viens de vivre à Kinshasa, jeudi dernier, un de mes trajets routiers les plus éprouvants depuis mon arrivée en République démocratique du Congo pour une audience commune avec l’ambassadrice américaine auprès de l’Union africaine chez le Président de la République.

L’audience est prévue à 16H à la Cité de l’Union africaine (un quart d’heure de trajet de ma résidence en temps normal). Les amis américains nous préviennent qu’il y aura du trafic. Nous décidons sagement avec ma collaboratrice, Daphné, et mon chauffeur, le fidèle et avisé François (il me manquera terriblement : il part à la retraite en juin prochain), de partir à 15H15. Mon chauffeur me rassure : « le jeudi à Kinshasa, on roule toujours mieux ».

15H25. Les ennuis commencent. Embouteillage massif sur le boulevard. « Du jamais vu en 30 ans », soupire François. Nous décidons alors avec lui de prendre des chemins de traverse (là où les voitures d’ambassadeur vont rarement). Avec Daphné, nous tressautons quelque peu dans la voiture, mais rien ne semble alors ralentir notre irrésistible avancée. Las, notre joie s’avèrera de courte durée.

15H35. Le retard paraît rattrapé, mais nous devons alors à nouveau rejoindre le boulevard pour emprunter un second raccourci. Celui-ci s’avère théorique. Nous nous y retrouvons totalement bloqué. Mon chauffeur me rassure déjà un peu moins : « pourtant ici, cela ne bloque jamais »… Nous voyons passer en sens inverse un cortège officiel que nous maudissons (évidemment en secret), le soupçonnant d’avoir aggravé une situation déjà en soi fort préoccupante.

Les minutes s’égrènent. 15H40. 15H45. 15H50. Chaque mètre gagné ressemble à une roue de plomb. Nous nous tenons en relation radio avec nos amis américains. Ces derniers ont aussi souffert, mais ils ont des moyens un peu plus importants que les nôtres (un cortège de 4 voitures, une sirène vrombissante, des gardes du corps qui n’hésitent pas à faire la circulation…). A ce moment précis, je me mets à douter des avantages comparatifs de notre « soft power » européen face à la puissance des chevaux américains.

15H58. Nous sommes encore loin du but. Les Américains nous confirment de leur côté être bien arrivés sur place. Peut-être, mais ce n’est qu’une supposition de ma part, n’ont-ils pas non plus totalement respecté le code de la route. Ils nous rassurent néanmoins sur un point capital. L’audience est retardée. Le Président est encore pris par son rendez-vous antérieur.

16H05. Nous arrivons à nous extirper de la nasse du second raccourci. Nous avançons à nouveau, péniblement mais nous avançons, au milieu d’une nuée de motos, toutes plus imprudentes les unes que les autres (avec des pilotes et des passagers dépourvus de casques). J’admire le calme de François qui manœuvre, comme toujours, la voiture à la perfection, qui évite chaque obstacle tout en ne concédant aucun centimètre.

16H10. J’entends un bruit sec à l’arrière de la voiture. Je dis à François de ne pas forcer le moteur. La seconde d’après, nous nous apercevons désespérés que notre roue arrière gauche vient de crever… Nous n’avons pas le choix : il nous faut continuer à avancer.

16H15. La montée du mont Ngaliema vers la Présidence s’avère épique. Nous arrivons sous le regard ébahi des gardes de la Présidence au niveau de la première barrière avec notre véhicule handicapé et brinquebalant. Ils ne veulent pas nous laisser entrer dans un tel équipage. François explique qu’il changera la roue plus tard. J’insiste sur l’importance de notre rendez-vous avec le Président. Un officier du protocole américain me propose gentiment de monter dans une jeep du cortège américain restée en arrière-garde. Le choix est cornélien : laisser ma voiture, c’est aussi entrer à la Présidence sans mon drapeau européen… Nous arrivons à convaincre finalement les gardes : ils acceptent de nous laisser entrer.

16H20. Seconde barrière de contrôle à l’horizon un kilomètre plus loin. Les américains nous préviennent qu’on les fait avancer vers la salle d’audience. Je leur fais dire de ne pas nous attendre. Un ambassadeur ne doit jamais faire attendre.

16H22. Il apparaît clairement que nous n’arriverons jamais à convaincre les gardes de la seconde barrière de pénétrer dans la dernière enceinte avec un véhicule avec un pneu crevé. Je décide alors avec ma collaboratrice de descendre et d’achever les derniers mètres à pied. 200 mètres à pied. Au pas de course diplomatique. Je montre à Daphné ce que mes années d’expérience à l’ONU et au Conseil de sécurité à New York m’ont appris quand il fallait déjà parfois courir d’un rendez-vous à un autre : garder la tête haute, le buste droit, accélérer insensiblement le pas. Un diplomate doit en toutes circonstances, même les plus désespérées, afficher sa détermination et conserver sa dignité.

16H25. Nous arrivons devant les portes de la Présidence. On nous regarde un peu surpris, peu d’ambassadeurs, semble-il, se présentent à ce niveau à pied. Je souris. Leçon d’un de mes maîtres et ancien chef, l’ambassadeur de France, Jean-David Levitte, conseiller diplomatique de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy, surnommé « diplomator », toujours garder le sourire. On nous sourit alors et on nous fait entrer et passer les contrôles de sécurité. Nous arrivons dans la salle où se déroule l’audience : miracle, celle-ci n’a pas encore commencé…

16H30. Nous avons trouvé nos places. Quelques minutes précieuses pour se recoiffer, retrouver une certaine prestance, échanger avec les collègues américains, saluer les amis congolais, notamment le Vice Premier ministre des affaires étrangères.

16H35. Le Président de la République, Félix-Antoine Tshisekedi, entre dans la salle… Et le plus sérieux peut évidemment commencer.

18H10. Fin de l’entretien avec le Président.

Alors que Kinshasa connaît un embouteillage monstre qu’elle n’a plus connu un jeudi depuis longtemps, je dois rejoindre en 20 minutes un cocktail que j’organise à la Résidence à 18H30 pour l’ancien ministre belge François-Xavier de Donnea, le Directeur de l’Institut congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN), le pasteur Cosma, et le directeur du parc national des Virunga, Emmanuel de Mérode, mais c’est déjà une autre histoire… »

Tout ceci pour dire que le développement et la croissance d’une ville doivent aller de pair avec des investissements importants qui y sont faits notamment en réseau de transport, en respectant bien entendu les exigences liées à la protection de l’environnement. Les autorités provinciales de la ville de Kinshasa doivent donc être en mesure de relever ce grand défi de la construction des infrastructures routières et de l’aménagement urbain, qui soit efficace et mûrement réfléchi, dans une perspective de développement durable.

Isidore KWANDJA NGEMBO

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